Le logement évolutif - jeudi 28 janvier 2016

Les « Matins de l’aura » sont des moments conviviaux qui réunissent élus, partenaires et acteurs du territoire sur des sujets d’actualités liés à l’urbanisme. Ces « Matins » sont des temps de présentation, d’échanges et débats ponctués d’interventions d’experts.

Le logement évolutif, dont les premières réalisations émergent dans les années 1930, revient sur le devant de la scène pour tenter de mieux répondre aux nombreuses aspirations des ménages, aux mutations de la société et à l’évolution des modes de vie.
Le jeudi 28 janvier 2016 l'agence d'urbanisme de la région angevine a proposé une matinée sur le logement évolutif (modulable, flexible, réversible, etc.). Quelles perspectives sur le territoire angevin ?

Retour sur les matins de l'aura du 28 janvier 2016

L'Aura, avec l'intervention de Jean-Louis Violeau, sociologue et professeur à l'école nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais a proposé un questionnement autour de l'habitat évolutif, de sa définition, son évolution à sa révolution.

Elle a également partagé les expériences de 2 villes Nantes et Rennes autour de 2 projets : le programme Unik à Nantes du groupe immobilier Réalités, et la recherche de Michel Dominici, titulaire de la chaire "Habitat intelligent et innovation dans un contexte de ville durable".


Découvrez l'interview de Monsieur Violeau

Dans le cadre de vos recherches sur le logement et ses usages, quelle place pour le logement évolutif ?
Le logement évolutif est pour ainsi dire un « serpent de mer » de l’imaginaire des architectes, et singulièrement celui des avant-gardes architecturales. Des expériences ont été tentées, en particulier au cours des « années 68 », cette grosse décennie qui s’étira de 1966 à 1978. Changer la vie, disait-on à l’époque, ça commence par son logement, et bien entendu par la possibilité d’en modifier la physionomie, la distribution, l’agencement… Mais le problème, si vous voulez, renvoie au fait suivant : ce n’est pas parce que l’on donne aux gens la possibilité de déplacer quotidiennement leurs cloisons montées sur roulettes qu’ils vont pour autant la mettre en œuvre. Cela renvoie à ce paradoxe logique bien connu : je vous ordonne d’être libres ! Et si l’on se regarde vivre au quotidien, on se rend très vite compte que personne ne modifie ainsi régulièrement son cadre de vie. Déménager ? Toute une affaire. Et faire la poussière, comme on dit, suffit à prouver qu’il y a certains endroits où l’on ne passe guère, et ce quelle que soit la taille de son logement ! En revanche, il est évident qu’avec la décohabitation, la décomposition généralisée des familles (et donc leur recomposition temporaire), et le vieillissement, une nouvelle équation s’est mise en place. Mais lorsque l’on se lance dans une opération (plus ou moins) « flexible », il faut bien avoir en tête SA définition de la flexibilité avant de l’agencer et la distribuer dans l’espace.
L’évolutivité, c’est donc :

  • la flexibilité, avec pour corollaire un jeu sur la partition des pièces, maximale quand les pièces d’eau peuvent bouger, par exemple un meccano de modules standardisés assemblés à sec, ou plus modeste et raisonnable avec des refends porteurs et une seule gaine, ou encore plus anecdotique, la solution des cloisons mobiles.
  • l’élasticité, par exemple la « pièce en plus », modulable.
  • l’archipel : à la carte, avec par exemple une pièce utilisable par plusieurs ménages différents suivant les besoins et les temporalités.
    OU… les 3 à la fois ! Si vous êtes téméraire !

Quelles sont les aspirations des ménages aujourd’hui en matière de logement, d’habitat ?
Si l’on regarde dans une continuité d’une quinzaine d’années les enquêtes d’opinion – qui pour la plupart reposent elles-mêmes sur les acquis des précédentes – ces attentes sont simples : être propriétaire d’une maison avec un jardin. Mais l’opinion, ça se travaille : on peut dès lors imaginer quantité de dispositifs fiscaux et financiers (accession aidée, prêts bonifiés, formules de locataires-accédants…) et spatiaux (prolongements extérieurs, terrasses, jardins d’hiver, vérandas, bow-windows, loggias…) permettant d’envisager sereinement des alternatives à la petite maison individuelle posée toute seule sur son grand jardin. Tous les empilements sont possibles, et certains sont très beaux – mais moi-même en tant que sociologue, je ne possède pas toujours les moyens financiers d’y habiter. Lorsque les talents (urbaniste, architecte, promoteur) sont réunis, les exemples surgissent de terre comme une montée de sève.

Une tour dénommée Amazonie, tout juste livrée à Nantes-Malakoff sur la partie Pré-Gauchet, par les architectes rennais A-lta pour le promoteur Bâti-Nantes et sous la houlette du Grand Prix national de l’urbanisme Gérard Pénot, le démontre avec force. Si l’on arrive d’Angers par le train, on ne peut guère la rater dans son champ de vision. C’est un peu comme si l’on y tirait des bords en hauteur : toute la silhouette de la tour est graduellement rythmée par la profondeur des prolongements extérieurs des appartements, souvent de grandes vérandas protégées, clipsées pour ainsi dire sur les salons des appartements. Ces logements sont sortis à un prix de vente (à faire rêver les Parisiens) alternant entre 3.500 et 4.000 euros le mètre carré. Résultat : tout a été vendu avant la livraison. Certains appartements offrent des vues saisissantes, dominant toute la ville. Chaque palier accueille 4 logements, chacun séparés au nord par la cage d’ascenseur et au sud par la cage d’escaliers. Enfin, tous les étages sont scandés par un long couloir traversant, généreusement éclairé aux deux extrémités, est et ouest. Les couloirs sont donc tous éclairés naturellement, et chaque appartement est isolé acoustiquement de son voisin, soit par les escaliers soit par l’ascenseur, soit par le couloir de distribution. Le pied de la tour est en contact direct avec le trottoir. Il n’y a pas de parking souterrain et l’on évite ainsi cette fatalité française qui veut que la tour appelle la dalle – solution technique facile mais rédhibitoire sur le plan urbain.

Bref, ce qui compte avant tout, c’est la manière de poser la question, et je crois qu’il faut chercher à « défataliser » la question du logement – aujourd’hui en crise, comme chacun sait, mais a-t-on jamais vu depuis les grands ensembles, les pavillons Loucheur, l’Hiver 54 et l’Abbé Pierre, le logement sortir seul sans son couple habituel, la crise

Comment les architectes ont su s'emparer et s'emparent à nouveau des enjeux de réversibilité ou de flexibilité pour fabriquer du logement ?
A mon sens, les logements conçus par le duo Lacaton-Vassal pour Silène, l’office HLM nazairien, mettent en scène une vision contemporaine de la flexibilité. Les architectes travaillent depuis leurs débuts la question du « plus ». Il ne faut pas oublier que dès les débuts du mouvement en faveur du logement social, un « bon logement » a été d’abord défini comme permettant d’échapper à l’exiguïté, facteur de désordres divers. Ils s’inscrivent donc, dialectiquement, dans une histoire. Leur anti-modèle en contrepoint ? Un grand appartement haussmannien avec des volumes séparés et attribués à chacun des membres de la famille. Car enfin, à l’âge de la monoparentalité et de la recomposition généralisée, quel modèle ont-ils en tête lorsqu’ils conçoivent leur T2 de 60 m2 ? Un T2 qui peut recevoir une famille entière (ce pour quoi il n’est pas conçu), c’est peut-être bien le luxe des luxes, non ? En retour, l’on peut aussi s’interroger : qu’est-ce donc que la famille contemporaine pour Lacaton-Vassal et pour leur maître d’ouvrage ? Et c’est là que la « question du logement » devient si intéressante.

Je travaille aussi en ce moment sur un projet pionnier, conçu par l’architecte Marc Barani pour le bailleur social SNI Sud Ouest dans le cadre du Lab’CDC, une procédure expérimentale parrainée par la Caisse des dépôts. Il s’agit, dans un quartier à Bordeaux-Brazza où prévaut un « urbanisme en liberté », dixit Youssef Thomé son urbaniste-en-chef, de penser l’évolutivité des logements et des fonctions. Bon, cette « liberté » est aussi le corollaire d’une faible maîtrise foncière publique et donc d’un jeu d’acteurs où chacun est invité à présenter ses projets pour convaincre réciproquement bailleurs, promoteurs, vendeurs fonciers… Mais l’urbaniste a eu l’intelligence de penser son quartier comme un agencement de volumes « capables » à différents titres : des hauteurs sous plafond permettant la fermeture d’une mezzanine jusqu’aux changements d’activités ou de fonctions possibles à l’intérieur de l’enveloppe d’un même îlot. C’est stimulant. Marc Barani réfléchit donc en ce moment à un « plancher créole », dirais-je, combinant le béton en sous-face des poutres pour la stabilité et le bois en surface pour la chaleur du revêtement. Ce système de poteaux-poutres (car il faut bien dire que structurellement, c’est le principe qui se prête le mieux au changement) intègre les gaines et les fluides. Parallèlement, le maître d’ouvrage réfléchit à l’élasticité de ses cellules, avec des pièces directement affectables et ré-affectables aux logements contigus suivant les évolutions de la composition des familles, ou bien encore disponibles « à la demande » pour accueillir des amis ou un lointain neveu, qui sait, sur le même pallier. Il mène également en parallèle une réflexion sur le park’sharing car il faut bien avouer que ces places de parking que l’on oblige à inclure dans le programme de chaque opération de logement social s’avèrent parfois un sérieux handicap sur le long terme. Ou bien les habitants au budget limité préfèrent se garer deux rues plus loin en évitant ainsi un surcoût sur leur loyer, ou alors ils n’ont tout simplement pas les moyens d’entretenir une voiture personnelle. Résultat : les parkings restent souvent vides, et comme chacun sait, la nature a horreur du vide ! Alors que l’on pourrait, dans certaines opérations bien situées, très bien imaginer un système de parking « à la demande », dont la gestion serait encore facilitée par l’apport des outils numériques.